Je réponds ici à un étudiant dans le secteur du jeu vidéo qui me demandait : “Comment vous adaptez-vous à l’évolution des technologies / techniques qui évoluent sans cesse ?” et “Que pensez-vous de l’intelligence artificielle ? Est-ce un atout ou une menace dans le monde de l’infographie ?”. Voici mes réponses.
Dès qu’une nouvelle techno sort, dans les domaines qui m’intéressent (et ils sont trop nombreux) j’essaye de la tester. Le plus rapidement possible. Juste pour me faire une idée. Et j’y vais par “passes successives”, de façon itérative, en allant toujours plus dans le détail en fonction de mon intérêt et de mes besoins.
Une grande partie de mes journées est consacrée à la Recherche. Je suis payé pour cela. J’ai horreur de produire.
J’ai toujours refusé de me spécialiser — on dit que c’est une nécessité. Je trouve que c’est un risque et un confort bien temporaire. En plus, j’aime avoir une vision globale d’un projet, transversale, pluridisciplinaire. Mais en réalité, c’est plus complexe que ça. Pour mes besoins de développement, je me spécialise dans un certains nombre de technos et d’outils. Et le reste, je le confie à des gens plus qualifiés que moi.
Pour répondre à ta question, je ne m’adapte pas vraiment… cette évolution des technologies est le coeur même de mon travail, de ma façon d’être. Je n’abhorre pas le progrès, ni ne le crains, je suis toujours dans l’attente de ce qui manque — cela ne va jamais assez vite au final.
L’intelligence artificielle est un domaine de recherche qui n’a que peu évolué en 40 ans… Toutefois, ce qui a changé, c’est la puissance des unités de calcul et leur distribution. Le machine learning est en train de bouleverser tous les pans de la société. Il serait trop long d’aborder le sujet dans sa globalité ici, alors je vais me restreindre au monde du jeu vidéo / infographie.
Tous les algorithmes qu’on utilise aujourd’hui vont être améliorés par l’apprentissage par renforcement ou supervisé — à tous niveaux : sur les processeurs, dans le software des cartes, dans nos moteurs de jeux et logiciels. Même en voulant restreindre ma réponse à ces domaines je me rends compte que c’est trop vaste: le e‑sport n’aura plus de challenger humain (cf Starcraft / Deepmind), la conception des jeux va être chamboulée (game design, level design, …). Tiens, juste un exemple: un bon game designer s’intéresse de près au feedback temps-réel des joueurs, tente d’ajuster la difficulté d’un jeu en dynamique, etc. Assisté par des algo de machine learning, on fera des jeux qui sauront éprouver le gameplay en allant juste un cran en dessous de la limite de compétence d’un joueur (flow/expérience optimale), de façon à le faire progresser, qui fourniront des rewards au joueur au bon moment pour ne pas le décourager, etc. La psychologie des joueurs va être modélisée, analysée, disséquée… digérée.
Tous les métiers sont menacés… pas seulement ceux dits “manuels”. Il va y avoir une transformation des métiers comme jamais. Là où il fallait 100 développeurs sur une application, 1 ou 2 assistés par le ML suffiront. Ce seront plus des architectes logiciels, ceux qui traduisent les besoins en quelque chose d’accessible au ML. Pour les créatifs, ils ne sont pas à l’abris non plus. C’est un trop vaste débat pour en parler ici, mais oui, en infographie aussi tout va changer: les clients pourront dialoguer avec un programme pour créer leur site web, un logo, une charte graphique, un concept art inspiré de X et Y… C’est à un horizon proche (10 ans max): “je souhaite un film de 30 minutes inspiré du routard galactique de Douglas Adams avec une touche de Dune de Frank Herbert, le tout en style BD façon Bob Kane sur une musique entre Vangelis et Hans Zimmer. Comme personnage principal, s’inspirer de Tintin qui serait joué par John Wayne”.
Alors, menace oui car tout le monde ne profitera pas de cette technologie, tout comme il y a des gens aujourd’hui sur le carreau qu’on n’arrive pas à former aux métiers actuels (comme les NTIC) car ils n’ont ni la volonté, ni la capacité de s’adapter. Le travail sera une ressource de plus en plus rare, un luxe en quelque sorte (d’où le fait que je milite pour le revenu universel). Mais au-delà du fait que cela va mettre plus de gens au chômage que cela ne créera pas de métier (à mon avis… sauf à court terme), je crois que cela va grandement profiter à l’humanité en dehors du monde du travail, plus que l’électricité et plus qu’Internet. Après, les technos ne sont ni bonnes ni mauvaises, cela dépendra de la façon dont la société les exploitera. Il est important que cela ne tombe pas dans les mains d’une poignée de technocrates ou de financiers, mais que cela se démocratise un maximum. Si j’étais ministre de l’éducation, ce n’est pas la programmation que j’enseignerais à l’école, mais plutôt à se servir de l’IA (les bots, les algos/services connus, accessibles via le cloud, etc.)
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