Je vous en parlais fin 2017 dans cet article, Cédric Villani a été missionné il y a quelques mois par le gouvernement Français pour construire une stratégie nationale dans le domaine de l’IA. Cette mission de 4 mois se terminait fin novembre.
Je concluais par le fait que Villani ne me convainc pas sur sa capacité à appréhender réellement les changements à venir. Un premier rapport avait été publié : 3 mois d’auditions, 250 personnes entendues (issues de 13 pays), près de 600 experts…
Le rapport définitif (8 mars 2018) est disponible ici, il fait 235 pages. Qu’en est-il des conclusions et des actions à mener ? le Rapport Villani recense 135 propositions. Je ne peux pas les aborder dans le détail… Je vous conseille de le lire et de vous faire votre propre avis.
Mais voici ce que j’en pense après une première lecture:
Pour ceux qui veulent aller un peu plus loin dans la réflexion:
L’analyse me semble bonne, pertinente, bien documentée. Il en ressort une véritable prise de conscience de l’impact de l’IA dans la futur économie, son impact sur les emplois, notre mode de vie. On sent bien qu’il y a des gens brillants derrière ce rapport, mais il manque un élément essentiel… Et il est chiant à en mourir…
Je n’ai rien vu d’audacieux, de révolutionnaire… rien qui donne envie – bien au contraire. Et à mon avis, c’est le cœur du problème ! Et quid de la VISION ? Une vision projetée dans le futur… comment pourrait être la France de demain avec le bénéfice de la maîtrise de l’IA ? Quel avenir pour nous ?
La France, leader de l’éthique de l’IA… ça me donne un arrière goût de « on n’a pas les moyens de le faire, alors on va légiférer ». Un peu à l’image de tout ce qu’on fait aujourd’hui en Europe : on n’a pas les GAFA, alors on va tenter d’imposer des règles sur notre territoire. Ok, pourquoi pas… c’est un sujet noble, mais je crains qu’on mette d’avantage des barrières aux entreprises locales et que ce soit open bar pour les autres au final.
Et quand je vois l’idéologie qu’on nous impose à de nombreux niveaux, je crains pour la suite.Dans tous les cas, sans être un acteur de premier ordre dans le développement de l’IA, tout ce qui est de l’éthique restera de la poudre aux yeux façon « données privées » vues par Facebook.
D’un coté, on nous dit attention aux algorithmes prédictifs, attention à l’utilisation des données… on se rappelle tous le film Gattaca : l’enfant né avec un code génétique « non bidouillé », considéré comme une poubelle à la naissance… destiné à devenir balayeur car son code indique qu’il n’a pas de disposition pour les études… qu’il mourra jeune… impossible de le mettre à l’école, impossible de l’assurer au niveau santé…
Et pas besoin d’IA pour ça… Juste de l’information génétique et des bases de données. Le problème, c’est pas ce qu’on est capable de faire, c’est ce qu’on en fait. La DATA, c’est le plus important. Le rapport en parle… et à coté de cela, on parle de l’ouverture des données vers l’IA… notamment dans le domaine de la santé ! C’est qui demain qui pourra plus s’assurer coté mutuelle car l’algo va définir qu’il risque de couter trop cher ?
La dimension sociale de l’IA ? Mise au service du bien commun et de la société – Est-ce qu’on applique ce principe aux entreprises, à la richesse produite ou stockée, à l’économie dans son ensemble ? Il faudrait peut-être traiter la cause première des dérives, plutôt que de s’attaquer aux manifestations.
La priorité sur la recherche en IA : Un rapport par des chercheurs pour des chercheurs ? On avait titré dans la presse « Villani veut doubler les salaires des chercheurs »… En gros, on injecte plus de pognon et on verra ce que ça va donner.
Ce qui saute aux yeux dans ce rapport, c’est notre incapacité à mettre en place une stratégie industrielle autour de l’IA… tout simplement parce que nous n’avons plus de stratégie industrielle tout court. Les solutions sont tournées vers l’intérieur, vers le marché Européen : en gros, comment freiner l’IA étrangère avec des normes et des lois… C’est ce qu’on fait depuis des décennies… C’est une stratégie de repli.
Des labels IA… un guichet unique ? On va renforcer l’administration, une fois de plus ?
On va finir par se limiter à intégrer des solutions faites par d’autres, ou se limiter au spécifique comme la santé ou les transports en faisant du protectionnisme. On a vu comment l’état français a protégé et subventionné le secteur automobile par le passé, au point de retarder toute recherche sur les voitures électriques et intelligentes… pour se faire balayer par des nouveaux acteurs comme Tesla.
Pour moi ce rapport, c’est un constat d’impuissance : on a réfléchi dans un cadre donné et ce cadre conditionne le résultat. C’est probablement un très bon travail, je suis loin de pouvoir en juger. Mais ce qui lui manque, c’est de remettre en question ce cadre… de pointer du doigt les vrais problèmes qui empêchent de mettre en place de vraies solutions.
Donc en gros, ça va subventionner comme des porcs de grosses sociétés, labos, centres de recherches connus qui vont probablement produire des trucs inutilisables comme à chaque fois, et on va légiférer tant qu’on peut jusqu’à se faire écraser par les géants étrangers comme la Chine et les USA. Nos meilleurs éléments finiront par bosser pour ces derniers, et on se dira que c’était la fatalité. Pessimiste ?
Macron vient déjà d’annoncer une enveloppe de 1.5 Milliards € jusqu’en 2022 pour soutenir le développement et la recherche en IA en France. Ça fait vraiment peanut…375 Millions / an ???
Petite comparaison, Amazon, c’est plus de 16 Milliards d’investi en R&D en 1 année. Google, 14. Microsoft, 12. Apple, 10. Tout ça en 2017. Et une société privée sait bien mieux utiliser son argent qu’un état…
Emmanuel Macron compte aussi « augmenter la porosité entre la recherche publique et le monde industriel »… ça se passe de commentaires…
Ce que j’aurais aimé y trouver ? Une approche culturelle de l’IA, des métamorphoses dans notre société… combattre la peur liée au manque de compréhension, par une approche ludo-éducative. Nous faire aimer l’IA, nous faire rêver, nous donner de l’espoir… le flux de connaissance est proportionnel à l’attention multipliée par le temps. Si une connaissance parvient à capter l’attention et le temps, elle est propagée. Autrement, elle est ignorée. C’est pour cette raison que la Corée du Sud, quand elle veut populariser la robotique, crée un parc d’attraction “Robot Land”. Plutôt que de nous faire détester l’IA en nous disant que c’est réservé aux chercheurs, que c’est compliqué… on devrait commencer à l’expérimenter dès le plus jeune âge, aider la connaissance à se démocratiser et pas l’enfermer dans des centres de recherche et des universités. Mais pour cela, il faudrait complètement changer notre façon de penser l’éducation, de penser l’économie… non pas en terme de ressources finies, mais peut-être en terme de développement infini basé sur les connaissances.
Bref, ce qui manque, c’est de l’ambition… de faire mieux, de faire différemment, d’apporter au monde des solutions, d’être innovant. Le rapport parle de 5 secteurs clés où l’IA va produire un impact certain : le transport, la santé, l’agriculture, l’éducation, la défense/sécurité… j’aurais ajouté l’énergie, la gestion du territoire, des villes, la gestion administrative tout court. Mais dans ces propositions, aucune « prise de risque » réelle, ce n’est ni audacieux, ni ambitieux… C’est la Nasa qui peine à lancer des fusées qui n’intéressent plus personne alors que Musk s’attaque à la colonisation de Mars. C’est le choc de la rationalité, de l’esprit… face aux rêves, aux espoirs, à la folie de ceux qui font réellement avancer le monde.
Alors je dis qu’on va encore dans le mur avec de genre de proposition. Favorisons l’émergence d’esprits créatifs, donnons leur les moyens de rêver, de penser, d’imaginer, de mettre en place. Cultivons l’esprit d’entreprendre. Dans l’esprit anglo-saxon, on récompense l’initiative, on cultive l’échec comme autant de progrès vers la réussite. En France et dans la vielle Europe, on dit « tu vois, tu as raté, je te l’avais bien dit »… on culpabilise l’échec – et on encourage ainsi l’immobilisme. On souhaite pouvoir devenir des acteurs majeurs de ce domaine, alors faisons le aimer par notre population avant tout autre chose. Aujorud’hui, quand j’interroge des gens proches de moi sur l’IA, c’est la peur (Terminator revient souvent… alors qu’il a fondu rappelez vous), l’incompréhension… voire le désintérêt. Quand je parle IA avec des universitaires, c’est compliqué ! C’est plein de maths… Quand je parle IA avec des dev, c’est « à ouais, je sais faire, j’ai vu un tuto là dessus »… C’est jamais, ou trop rarement, « ouha… ou va pouvoir faire ceci… cela, on devrait pouvoir avancer dans telle direction, ça va nous libérer du temps, ça va… L’homme bicentenaire, StarTrek bordel ! Pas toujours Terminator, War Games et Hal 9000…
Propositions
Je vous propose le rapport Benicourt pour … déjà, on va définir correctement l’objectif, car je ne suis pas certain que ce soit vraiment le cas dans le rapport Villani — on sait pas trop si le but c’est de ne pas trop se faire enfler, de ne pas être à la traine, d’avoir notre part de pognon dans la production mondiale… Bref, pour moi ce sera :
« Comment mettre à profit le développement de l’IA, en devenant un acteur de ce développement et en faisant en sorte que cela profite au plus grand nombre » . Déjà, il y a deux axes : comment devenir bon dans ce domaine et comment l’utiliser correctement ?
Posons quelques axiomes, un base de réflexion:
- Pour être bon dans un domaine, il faut aimer ce domaine : favorisons donc l’émergence de cette passion auprès du grand public et dès le plus jeune âge.
- La meilleure façon d’apprendre, c’est en jouant
- Les plus grandes découvertes se sont faites en bidouillant, en étant audacieux, … et plus on risque la ruine, moins on est à même de prendre des risques.
- On devient un leader, quand on est le premier et qu’on a su le rester – ou quand on a su trouver le bon moment et le bon lieu.
- Aujourd’hui, l’IA, c’est du matériel et du software – on sait ce qui est arrivé avec IBM et Microsoft concernant le DOS…
- Vouloir freiner et Interdire, c’est mal m’voyez ! C’est se condamner au retard, c’est se préparer à subir.
Chacun de ces axiomes est discutable, mais je les prends comme base pour mes propositions.
- Un revenu universel pour contrer les méfaits de l’IA au niveau du marché de l’emploi (inévitable) et s’assurer que des gens puissent prendre des risques sans être riche à la base ou subventionné par une université.
- Une culture « vidéo-ludique » de l’IA : la faire découvrir au plus grand nombre avec des musées, des parcs, des films, des dessins animés, des jeux, etc.
- Une fiscalité adaptée
En fait, je n’en sais rien, je n’ai pas trop d’idées moi non plus… mais je ne cache pas cela sous un rapport de 235 pages — Et je n’ai pas passé 4 mois à me poser la question, et le tout payé par l’état… je prendrai le temps d’y réfléchir plus tard.
J’aimerais bien écrire un roman qui brosse une humanité qui progresse sur fond d’IA au lieu des dystopies habituelles… On verra. N’hésitez pas à poster ici vos idées, critiques, etc.
Edit du 28/11/2018: Frédérique Vidal et Mounir Mahjoubi présentent le plan d’investissement de 665 millions € pour l’intelligence artificielle. Cette enveloppe de 665 millions ne concerne que la recherche, et fait partie de l’enveloppe globale d’1,5 milliard d’euros sur le quinquennat annoncée par Emmanuel Macron suite au sommet AI for Humanity. Le détail sur ActuIA. Je me dis qu’au final, avant de faire de la recherche… il va falloir rattraper déjà son retard dans l’utilisation et la compréhension de ce qui existe déjà…
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